Penser avec
Véronique LALANDE et Louis DUCHESNE • Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec : vigilanceportdequebec.com
Pour ne pas mordre la poussière1 : savoir protéger son milieu de vie
Mathieu Gagnon
Québec : cité heavy metal
Cela fait maintenant près de dix ans que j’habite le magnifique quartier de Limoilou, situé dans la Capitale-Nationale. Un endroit qui m’a donné le goût de m’enraciner, principalement par la richesse de son tissu communautaire et par la variété des genres de personnes qu’on y rencontre. Situé en plein centre-ville, c’est un quartier animé où un restaurant de smoked meat peut voisiner un café et où, en hésitant au coin d’une rue, on peut marcher cinq minutes vers la gauche afin d’aller écouter un trio jazz dans une microbrasserie ou vers la droite pour aller regarder une soirée de lutte dans un centre fondé par les Pères capucins en 1948. Sans parler de l’Interna- tional de pétanque de Limoilou !
Il y a toutefois des inconvénients à habiter ce quartier. Quelques années après y avoir emménagé, une amie, la mar- raine de ma fille aînée, m’apprenait que les habitants de certains secteurs de Limoilou avaient une espérance de vie significa- tivement plus courte que le reste de la ville de Québec. Cela est d’ailleurs confirmé par le Portrait de santé de la région de la Capitale-Nationale en un coup d’œil du Directeur régional de la santé publique (DRSP), qui révèle que l’espérance de vie pour les hommes habitant les secteurs Basse-Ville—Limoilou— Vanier est de 7,1 années inférieure à celle de Sainte-Foy— Sillery—Laurentien, l’écart se réduisant à 5,7 années chez les femmes (www.dspq.qc.ca/publications/AfficheWeb.pdf ). Cet écart était habituellement attribué au mode de vie des pauvres gens vivant dans ces quartiers, entre autres au tabagisme ou à l’alcoolisme. Et pourtant…
D’autres particularités du quartier, plus facilement per- ceptibles que l’espérance de vie, sont également quelque peu dérangeantes. Il y a l’odeur de fond de canne de tabac venant de l’usine Rothmans qui flotte au-dessus de la rivière St-Charles certains matins, mais il y a aussi, parfois, un goût de métal qui nous envahit la bouche et une âcre odeur qui nous pique le nez. Dans ce cas, la source est plus difficile à trouver, mais l’inciné- rateur de déchets situé à proximité était, pour moi comme pour bien d’autres habitants du quartier, le suspect de convenance. Il y a aussi toute cette poussière sur le bord des fenêtres, sur la voiture, sur la galerie, mais bon, Limoilou doit être poussiéreux. En bref, je me suis longtemps accommodé de ces détails tout en les conspuant, ne regrettant jamais mon choix d’habiter Limoi- lou, mais me questionnant tout de même sur la normalité de cette poussière et de ce goût de métal, sans toutefois enquêter sur la question. Pas le temps… que je me disais. Il faut dire aussi que ma famille et moi prévoyions déménager davantage vers le Nord, toujours dans Limoilou. Sachant que notre 5 et demi ne serait jamais notre foyer familial, nous lorgnions déjà vers un ailleurs tout près.
Quand Véronique Lalande et Louis Duchesne se sont ins- tallés dans Limoilou en 2010, eux, c’était pour y rester, pour y fonder une famille. Aujourd’hui parents du jeune Léo, ces habitants de Limoilou et citoyens du Québec y ont emmé- nagé avec enthousiasme, mais ont vite constaté eux aussi que les environs avaient un goût particulier. Toutefois, ayant décidé de s’enraciner dans ce quartier alliant béton et arbres cinquan- tenaires, il était hors de question pour eux de simplement plier bagages pour fuir la poussière tout comme il aurait été inaccep- table de l’endurer sans se poser des questions. Mme Lalande et M. Duchesne ont donc mené leur enquête, ce qui mena à la mise sur pied de l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec en décembre 2012, ce à quoi les pouvoirs publics ont donné suite en créant le comité de vigilance des activités portuaires, basé sur le modèle du comité de vigilance de l’incinérateur.

Marche pour un milieu urbain plus sain, tenue le 2 juin 2013. Source : Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec
Avoir la force de s’indigner
Depuis sa mise sur pied, cette initiative citoyenne a fait couler beaucoup d’encre. Il faut dire que les talents de communicatrice de Mme Lalande et la rigueur scientifique de M. Duchesne ont contribué à faire connaître la cause, mais aussi l’importance politique et économique du pollueur visé, l’Administration portuaire de Québec (APQ) ou, pour être plus précis, la Com- pagnie Arrimage de Québec (CAQ), qui effectue les opérations de transbordements de vrac solide dans le Port, principalement de métaux tels que le nickel, le fer, le zinc ou le cuivre. La com- pagnie le clame fièrement dans sa présentation vidéo sur son site internet (www.qsl.com/fr/publications.html, consulté en mars 2014) : « Dépendant du produit, plus de 150 000 tonnes peuvent être manutentionnées en une journée, grâce à nos équipements sophistiqués ». Autant de transbordements, ça déplace de l’air, et de la poussière. Mentionnons ici que le Port de Québec est situé en pleine zone urbaine, comme le montre la photo aérienne ci-contre.
Néanmoins, Véronique Lalande et Louis Duchesne, tout comme moi, ont d’abord pensé à l’incinérateur lorsqu’ils ont remarqué des amas de poussière louche. C’est justement après être allé à l’assemblée générale du comité de vigilance de l’inci- nérateur et après avoir pris connaissance d’une modélisation montrant vers où les principaux vents de Québec pouvaient entraîner la fumée que M. Duchesne réalisa que la poussière ne pouvait être le résultat des activités de l’incinérateur : « — La station ici [servant à documenter l’impact des activités de l’in- cinérateur] ne capte rien de l’incinérateur, parce qu’ici on est franc sud, et des vents franc nord, il n’y en a pas. À Québec, c’est pratiquement tous des vents nord-est ou sud-ouest ».
Le questionnement demeurait donc, jusqu’au fameux épisode de la poussette à Léo, deux jours plus tard, raconté par Mme Lalande :
— On s’est dit, donc, il faut que ce soit autre chose, et on disait tout le temps : crime ! il faut que ce soit big pour nous en envoyer autant, et si c’était big de même, on le verrait. Comment ça se fait qu’on ne peut pas le voir ? Et ça c’était vraiment le mercredi avant. Le ven- dredi matin, je me lève. C’est ce que j’ai raconté des milliers de fois. Je me lève et je me rends compte : câline ! il y a encore de la poussière et il y a vraiment une coloration rouge. Ça fait que là, je me dis, je vais aller acheter une moppe. Je pars avec le bébé en poussette et là il taponne le truc et je me rends compte qu’il a les mains toutes rouges. Hein ! ? Je m’avance, je lui lave les mains et je vois qu’il a la face rouge et c’est là que je me rends compte que c’est tout qui est rouge : ses souliers, les roues, et là je lève les yeux et je fais : estie ! c’est mon quartier qui est rouge.
Pendant ce temps, Louis Duchesne s’apprêtait à peinturer leurs bords de fenêtres, qu’il avait préalablement lavées la veille et il se dit : « — Câline, il y a quelqu’un, un voisin, qui a fait de la brique », ce à quoi Véronique lui répondit, revenant en beau joual vert de sa promenade : « — Non, non. C’est rouge partout, je ne comprends plus, ça n’a aucun sens ». Déterminée, elle poursuivit la quête d’information : « — Là, on va en avoir le cœur net. J’ai pris le bottin, j’ai appelé, et les gens qui se sont présentés, dans les deux cas, que ce soit les gens de l’Environne- ment ou de la Ville, les deux nous ont dit, spontanément : “mais madame, ce que vous avez là, c’est le Port!”». Ils ont même ajouté une phrase que Mme Lalande a qualifiée de phrase qui l’a tuée : « — Tout le monde le sait, c’est le plus gros pollueur à Québec, mais personne n’osera jamais s’attaquer au Port de Québec ». Entêtée, elle rétorqua : « — Ben je suis désolée, moi je ne le savais pas hier, mais maintenant que je le sais, moi je n’accepterai pas ça.»

Vue aérienne de la ville de Québec et du Port de Québec. Véronique Lalande et Louis Duchesne habitent près de la station Des Sables. Source : MDDEFP
Véronique Lalande s’est indignée. Elle me rappelait d’ail- leurs en entrevue avoir été partiellement inspirée du texte Indignez-vous ! de Stéphane Hessel, jadis membre de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce qui l’a peinée le plus dans ses discussions avec ses concitoyens et ses voisins, c’est ce que nous pourrions qualifier de fatalisme envi- ronnemental, d’acceptation résignée de la pollution qui nous entoure, parce que le Port est trop gros pour qu’on le confronte, parce qu’il a « toujours » été là, parce que c’est ainsi. Le texte de Hessel fait en effet écho à la démarche entreprise par le couple Lalande-Duchesne :
— La pire des attitudes est l’indifférence, dire « je n’y peux rien, je me débrouille ». En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des com- posantes essentielles qui font l’humain. Une des composantes indis- pensables: la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence (Hessel, 2013, p.9).
Cette faculté d’indignation, comme le terme l’indique, se fonde dans la résistance à l’offense que permet la dignité que l’on s’accorde à soi-même et que l’on s’accorde les uns les autres, cette dignité qui nous permet d’affirmer qu’on ne se laissera pas faire, ce qui, comme dans le cas de Lalande et Duchesne, est renforcé par l’idée que si nous ne défendons pas notre dignité ici, maintenant (dans ce cas le droit à ne pas être empoisonné, le droit à un milieu de vie sain), nos enfants l’auront perdu, par notre faute.
L’engagement de nos deux protagonistes ne faisait que débuter à ce moment. Ce vendredi 26 octobre 2012, le Minis- tère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP) rapporta justement un épisode de poussière dans l’Arrondissement de Limoilou, sans plus. Cette journée même, suite à l’appel de Mme Lalande, la Ville dépêcha des techniciens spécialisés afin de vérifier la situation et ainsi répondre à la requête des deux habitants urbains. M. Duchesne récolta un échantillon pour lui-même, en remit un au technicien et demanda à celui-ci de lui faire un suivi des résultats d’analyse : « — Moi, je lui demande de faire un suivi, mais ça avait l’air, dans sa face, de : “Attends-toi pas à grand- chose !”». Le couple doutait que cette poussière soit inoffen- sive et voulait des réponses. Elle venait du Port, mais était-elle nocive? Véronique Lalande fit alors jouer ses contacts pour trouver un journaliste intéressé par le sujet, sachant bien que nous sommes à l’ère du visuel, et la nouvelle parut dimanche dans le Journal de Québec. Dans cet article, la Ville affirmait que la poussière n’était que de l’oxyde de fer et que l’épisode était dû à une erreur de manutention dans les opérations au Port de Québec. Le couple reçut dès le lendemain des appels :
— Le Port, la Santé publique, tu sais, tout le monde nous a rappelé, mais nous avions appelé partout le vendredi. Ils nous disaient : « Ah ! Oui, mais madame, ça s’est produit en fin de semaine le dimanche, c’est pour ça qu’il n’y a pas eu de réponse ». Je leur ai tous dit : « C’est effrayant ce que vous me dites là, parce que l’évènement s’est produit dans la nuit de jeudi à vendredi, et je vous ai appelé le vendredi, sur les jours ouvrables. Ce qui est arrivé dimanche, c’est que c’est sorti dans les médias et donc ce que vous me dites, c’est que l’évènement, la situation, c’est comme si elle n’existait pas tant qu’elle n’est pas dans les journaux.
Guerre d’images à Québec
Or, l’analyse pratiquée par Duchesne et Lalande révéla la pré- sence de plusieurs métaux dans cette poussière rouge, notam- ment des concentrations élevées de fer, de cuivre, de zinc et de nickel. Ce n’est qu’en décembre 2012 qu’Arrimage Québec (CAQ) répliqua avec ses propres analyses, faites à partir de prélèvements pris à même un amas de minerai de fer qui aurait été à l’origine de la fameuse tempête rouge d’octobre, et engagea un expert en gestion de crise, M. Richard Thibault : la guerre d’images était engagée.
Entre-temps, M. Duchesne et Mme Lalande avaient mis sur pied leur Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec (www.vigilanceportdequebec.com), dont le site internet est une véritable mine d’informations sur le Port mais aussi sur leur propre démarche citoyenne, sur les impacts sur la santé de la présence de métaux lourds dans l’air ou dans la poussière qui retombe sur le sol. La CAQ fit présenter sa contre-expertise par M. Thibault :
— Il y a eu une espèce de confusion, explique le porte-parole d’Arri- mage Saint-Laurent, Richard Thibault. Mme Lalande a fait un travail de sensibilisation important. Vous comprenez que ses ana- lyses ne considéraient pas ce qui était dans l’atmosphère, ce sont des analyses de sols (…) Ce n’est pas parce que c’est par terre que c’est dans l’air (Journal de Québec).

Véronique Lalande nettoyant sa voiture suite à l’épisode du 26 octobre 2012. Source : Radio-Canada
La logique de M. Thibault, plutôt déconcertante, semblait passer outre le fait que tout ce qui monte redescend, dans une tentative de s’attaquer à la crédibilité de Mme Lalande sous couvert de sympathie pour cette citoyenne soucieuse de son environnement.
Néanmoins, le cours des événements devait donner raison à Mme Lalande et M. Duchesne. Suite à l’embauche de M. Thi- bault en décembre 2012 afin de gérer la crise communicationnelle déclenchée par la famille limouloise, embauche signifiant que la CAQ et l’APQ préféraient contredire les informations révélées par le couple plutôt que d’entreprendre de véritables modifications à leurs opérations de transbordements, la réplique de Véronique Lalande fut cinglante: un recours collectif visant l’APQ et la CAQ, recours auquel il est toujours possible de s’inscrire sur le site de l’Initiative. Confiante que les analyses de la qualité de l’air corroboreraient les analyses des poussières récoltées au sol, Mme Lalande prit ce moyen de pression devant la volonté affichée par les autorités du Port d’engager une bataille communicationnelle. Malheureusement pour la crédibilité de l’expert en gestion de crise employé par la CAQ, les révélations du MDDEFP et de la Direction régionale de la santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de la Capitale-Nationale (DRSP) ont depuis confirmé les dires de M. Duchesne et Mme Lalande, ainsi que les résultats de leur Analyse des concentrations de métaux dans l’air ambiant du territoire de Limoilou, dont la version finale fut diffusée en mars 2013. Le rapport de la DRSP remis par la suite le 26 avril 2013 montrait aussi des résultats inquiétants pour la santé des habitants respirant la poussière en provenance du Port. En effet, on y révélait, pour la période allant du 2 avril 2010 au 28 mars 2012, une concentration moyenne de nickel atteignant 72 ng/m3 à la station Des Sables (située tout près de la maison de Lalande et Duchesne), 48 ng/m3 à la station Vitré et 38 ng/ m3 à la station Beaujeu2. Bien que variant d’une station à l’autre, ces concentrations dépassent toutes largement ce qui est permis par le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère (RAA) du MDDEFP, qui est de 12 ng/m3. Tout indique que le nickel retrouvé au sol dans Limoilou n’y a pas été transporté par un malin génie, mais provient bel et bien des activités du Port.
Ne pouvant plus ignorer la cause environnementale (nous parlons ici de l’environnement concret, d’une lutte pour un milieu de vie sain) portée par ce couple, l’APQ, par la voix de son président-directeur général (PDG) Mario Girard, se défendit par voie de communiqué de presse la journée même de la parution du rapport. On peut y lire :
— Comme tout le monde, nous attendions ce rapport. Nous sommes heureux que la Direction régionale de la santé publique ait pu clarifier la situation entourant les impacts du nickel présent dans l’air de la Cité-Limoilou, déclare Mario Girard, président-directeur général du Port de Québec.
— L’APQ a également pris acte des trois (3) recommandations for- mulées par la DRSP en lien avec certaines opérations se déroulant sur son territoire. Ces recommandations vont dans le même sens que les mesures et les moyens que nous avions déjà amorcés en collabora- tion avec nos opérateurs. Nous nous sommes engagés à en faire une priorité et nous ne négligeons aucun effort pour que l’ensemble de nos opérateurs agissent en ce sens.
Ces recommandations sont les suivantes :
Aux générateurs de risques
1. Qu’ils développent ou actualisent leur plan d’action visant à réduire la contamination par le nickel et les autres contami- nants (en particulier : NOX, particules, métaux, HAP, PCDD/F, BPC, SO2, COV) dans les quartiers affectés (ex.: caractérisation, réduction à la source, mesures de contrôle et de mitigation, suivi, information).
2. Qu’ils mettent en place les bonnes pratiques pour faire en sorte que leurs opérations génèrent le moins de contamination pos- sible pour les citoyens riverains.
3. Qu’ils impliquent les citoyens riverains dans leur prise de déci- sion concernant la gestion des risques environnementaux associés à leurs activités (Avis de santé publique, DRSP, 2013).
Pour Louis Duchesne et Véronique Lalande cependant, les mesures prises par l’APQ, mais également par la CAQ qui est responsable de ses opérations, sont loin d’être suffisantes pour être qualifiées de bonnes pratiques générant le moins de conta- mination possible :
— Louis : Eux, ils disent qu’ils ont déjà mis en place un plan d’inter- vention qui inclut une série de mesures, notamment, la plus grosse mesure, qui est le système de canons à eau, pour arroser les piles [de minerai]. Nous, selon les connaissances qu’on a3, le fait que le fer est un matériel hydrophobe, donc qui ne s’imbibe pas d’eau, ça rend les effets négligeables sur la dispersion de la poussière, pour les matériaux hydrophobes comme le charbon et le fer. Ça percole finalement. Il faudrait mettre des additifs qui permettraient une certaine adhésion de la goutte, si tu veux, à la molécule ou à la particule de fer ou de charbon. Ça fait qu’il semble que ce serait relativement peu efficace. De notre côté, tout nous semble dire qu’il y a peu d’effet. Il y a quand même une baisse notable dans les deux dernières années de la quantité de nickel dans l’air ambiant, mesuré par le Ministère [MDDEFP]. Le Ministère soupçonne entre autres les effets du nettoyage plus intensif de la zone de déchargement, avec des balais entre autres, euh, on le sait pas trop finalement c’est quoi qui a causé exactement ça. Parce que ça, c’est avant l’épisode de poussière rouge et avant la mise en place du nouveau plan d’intervention. — Véronique : Tu sais, c’est complexe. Il faut voir que pour la diminution, si on prend l’année 2011, on a eu une année tellement hors norme… En fait, si on compare avec les autres années, on n’a pas une si grande baisse que ça. C’est sûr que si tu compares avec 2011, là ça drop. Elle n’est pas nécessairement représentative, et là, on stagne. Nous on dit : vous allez réussir à dimi- nuer un petit peu, mais tant qu’il n’y aura pas de mécanisme à couvert, tant que ce sera des mesures périphériques pour contrôler et non des mesures intégrées, vous n’y arriverez jamais. — Louis : Le Ministère a donné à l’entreprise une liste d’obligations à remplir, incluant des entrepôts à pression négative [comme dans un sas], que la manuten- tion soit faite tout le temps à couvert, les convoyeurs couverts, tout ça, donc la liste est connue, les interventions possibles. Eux, ils en ont fait une fraction en disant que c’est ça la solution. En fait, l’entreprise ne reconnaît même pas qu’elle est émettrice de contaminants, alors que ce serait si simple de faire un exercice de modélisation de la disper- sion des particules. C’est fait par toutes les grandes entreprises dans le monde industrialisé. L’entreprise, ou le Port, n’évalue pas ses émis- sions, puis nie être émettrice, donc on part de loin ! Dans leur plan de mesures, correctrices disons, il y a, c’est ça, les canons à eau, mais aussi un réseau de capteurs de particules. Quand on dit capteurs, ce n’est pas des intercepteurs. Des fois on voit dans les médias qu’ils ont installé des capteurs comme si c’était des intercepteurs, mais c’est pour prendre des mesures de poussière, des stations de mesure, pour mesurer, fina- lement, les taux de particules dans l’air, mais il n’y a rien de public sur ça. Alors que dans les demandes faites par le Ministère, il y avait obli- gation de partager ces résultats-là. — Véronique : Ensuite de donner le plan. Où est-ce qu’ils ont été installés ? C’est quel équipement ? À quelle hauteur? Parce que tout ça, c’est ce qui fait que tu peux t’y fier ou non à tes résultats. — Louis : Parce que c’est très complexe, il faut que les stations soient aux bonnes places, et évidemment que les données soient rendues publiques.
En effet, il demeure toujours une quantité excessive de nickel dans l’air et de nombreux autres épisodes de poussière ont été notés, malgré la mise sur pied, toujours en avril 2013, du Comité de vigilance des activités industrielles autour du Port de Québec. C’est suite à une rencontre entre la députée Agnès Maltais et le maire Régis Labeaume que le comité fut finale- ment créé, basé sur le modèle du Comité de vigilance de l’inci- nérateur de la Ville de Québec. On y retrouve six représentants des conseils de quartier environnants ainsi que Mme Lalande. On y retrouve également un représentant du Conseil régional de l’environnement (CRE) de la Capitale-Nationale, deux élus et un fonctionnaire de la Ville de Québec, un représentant de la santé publique, du secrétariat de la Capitale-Nationale ainsi que du MDDEFP. L’APQ comme telle a aussi un représentant, en plus de celui de son comité de relations avec la communauté, pour un total de seize membres. Le MDDEFP eut beau affir- mer que la CAQ est responsable de la présence de nickel dans Limoilou, celle-ci continue à nier toute responsabilité. La négli- gence éthique des dirigeants de l’entreprise, car ici éthique et environnement ne font qu’un, est d’autant plus grande que les vents ne connaissent pas les limites territoriales inventées par les humains, ce qui explique la présence de représentants des diffé- rents conseils de quartier. Certaines parties de Vanier et le Cap- Diamant sont également particulièrement touchés par les effets de la désinvolture industrielle de l’APQ et la CAQ.
Or, l’APQ, plutôt que de forcer la CAQ à améliorer la sécu- rité entourant ses opérations, prit plutôt des mesures communi- cationnelles, engageant Johanne Gélinas en mai 2013. Celle-ci ayant déjà agi à titre de commissaire fédéral à l’environnement et au développement durable ainsi que de commissaire au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec (BAPE), le mandat lui fut confié d’élaborer une stratégie de développe- ment durable pour le Port. Après plusieurs mois d’application, cette stratégie laissait toujours le couple Lalande-Duchesne quelque peu perplexe quant aux activités réelles du Port :
— Louis : En revenant des Fêtes, Mario Girard a fait une conférence de presse en disant que 2014 était l’année de la consultation et de la communication. La concertation, l’ouverture, tout ça. Il affirmait qu’il n’y avait pas eu d’autres événements de poussière, mais la semaine d’après, il y en a eu un. — Véronique : Puis comme je disais, nous autres on est allé voir puis on a suivi d’autres luttes citoyennes, puis tout ça, puis c’est beaucoup dans l’industrie minière évidemment, puis tu vas voir des compagnies minières qui ont des bilans vraiment pas chics et tu vas voir leur plan [de développement durable] sur leur site et tu sais, je riais. Tu regardes ça là, c’est comme un OSBL4 [organisme sans but lucratif ] qui a comme mission la collaboration avec les autochtones et la remise en état du terrain qui, accessoirement, vraiment quand il est obligé, une fin de semaine par mois, extrait du minerai, caché dans la huitième page. Parce que vraiment là, le greenwashing c’est comme, tu regardes les compagnies et tu n’es même plus capable de savoir ce qui arrive. Tu as quatre gros blocs et c’est « notre implication dans la société et notre engagement environnemental, etc.» et c’est juste ça. Puis tu te dis non mais, c’est parce qu’à un moment donné, on ramène de la garnotte. C’est quand même ça la business.
L’Internet, que l’on suppose trop souvent être une source d’information, devient au contraire un écran opaque servant à voiler la véritable nature des opérations sur le terrain, quoique le plan de développement durable affiché sur le site du Port de Québec5 soit bien ténu. Pendant ce temps, les opérations ne se font toujours pas sous couvert étanche, et les épisodes de pous- sière se perpétuent. Épisodes de poussière vous dites ? Lalande et Duchesne clarifient cette expression :
— Véronique : C’est dans l’air ambiant. […] Il n’y a pas d’épisodes, c’est en continu, puis il y a des moments où tout à coup il y en a un peu plus, il y a des conditions qui font qu’on le remarque un peu plus, quecesoitunecoloration…—Louis:C’est beaucoup lié aux conditions météorologiques, donc les rafales, puis évidemment, si c’est dans une période de manipulation, eh bien là, c’est double. […] Je ne pense pas qu’on en viendrait à bout, et je ne pense pas que c’est le but non plus. Il va tout le temps rester certaines poussières, puis tu sais, on est capable de vivre avec de la poussière dans la vie. — Véronique : Mais à des taux qui sont compatibles avec le fait d’élever tes petits sans avoir peur. — Louis : Puis qui n’est pas aussi agressante pour les matériaux, entre autres, puis pour les humains évidemment. C’est tout ça. Si c’était du sable, ce serait pas mal moins paniquant.
En effet, ce n’est pas tant la quantité de poussière qui effraie le plus, mais sa composition. Rappelons que le rapport de santé public du DRSP d’avril 2013 rapportait que la valeur moyenne de concentration de particules de nickel dans l’air ambiant constaté grâce à la station Des Sables, la plus près du foyer des Lalande-Duchesne, dépassait de 6 fois la norme du RAA (72 ng/m3 pour une norme de 12 ng/m3).

Échantillon de poussière rouge récoltée sur le balcon
Quand le voisin est un gros Port
Ce n’est pas moi qui le dis ! La CAQ elle-même, dans une bro- chure corporative destinée à ses clients et disponible sur son site internet, fait entre autres les affirmations suivantes à propos de ses activités au Port de Québec :
Nous pouvons tout manutentionner (p.4-5). […] Les possibilités d’Arrimage du St-Laurent sont impressionnantes. Dépendant du type de produit, plus de 150 000 tonnes peuvent être manutention- nées en une seule journée. Arrimage St-Laurent (ASL) est une divi- sion de CAQ située au Port de Québec. ASL est le plus important terminal de nickel en Amérique du Nord (p.14-15, http://www.qsl.com/fr/ publications.html, consulté en avril 2014, c’est moi qui souligne).
Autant d’activités qui ne se font pas à couvert entraînent forcément des mouvements de poussière et, depuis la naissance de l’Initiative de vigilance citoyenne du Port de Québec, les preuves démontrant que les opérations de la CAQ sont à l’ori- gine de la présence excessive de nickel dans l’air ambiant et sur le sol se sont accumulées.
Or, la présence de particules de ces métaux est loin d’être banale. Le rapport de la DRSP expose justement des consé- quences néfastes dues à des taux élevés de nickel dans l’air ambiant, en plus des conséquences possibles d’une ingestion directe. Par exemple, si le petit Léo sur sa poussette s’était léché les doigts avant que Véronique n’ait eu le temps de lui laver les mains, de graves conséquences auraient pu se manifester :
Une exposition aiguë par ingestion à forte dose peut entrainer des effets gastro-intestinaux (diarrhées, nausées, douleurs abdominales, vomissements).
L’ingestion de nickel de façon chronique en quantité importante est associée à un faible poids des bébés à la naissance (augmentation de la fréquence), à des dermatites (réactions cutanées) et à des dommages cardiaques et hépatiques. En général, ces dommages sont évités si la quantité de nickel métallique consommée ne dépasse pas 0,012 mg/kg/jour (OMS, 1991). […]
L’effet sur la santé le plus fréquemment associé au nickel est la dermatite de contact (irritation de la peau lorsque le nickel est en contact avec celle-ci). Dix à 20 % de la population est sensibili- sée au nickel et pourrait présenter des réactions de type allergique lorsqu’exposée à ce métal (Avis de santé publique, DRSP, 2013, p.10).
Pour ce qui est des impacts sur la santé dus à la présence de nickel dans l’air ambiant, le rapport ne se fait pas plus rassurant :
Exposition par inhalation
La bronchite chronique, la fibrose pulmonaire et l’atteinte des fonc- tions respiratoires sont associées à l’exposition chronique (exposi- tion continue sur une longue période de temps) au nickel à de fortes doses (INERIS, 2009).
Cancer
Pour le cancer du poumon, le seuil jugé acceptable par l’United States Environmental Protection Agency (US-EPA) est de 2 ng/m3. Ce niveau d’exposition est considéré sécuritaire car il peut entrainer un excès d’un cancer, sur une période de 70 ans, chez un million de personnes exposées (US-EPA, 2000). Il importe de souligner que la cancérogénicité du nickel varie selon les composés qu’il forme; le nickel total n’est donc pas nécessairement cancérigène dans son intégralité (INERIS, 2006).
En bref
Le nickel et ses composés présents dans l’environnement peuvent être absorbés par l’humain de trois façons : ils peuvent être avalés, respirés ou encore assimilés par la peau. Le nickel et ses composés présentent à court et à long termes des risques d’allergies ou d’inflammation, notamment de l’asthme et des problèmes cutanés. Par ailleurs, des expositions prolongées à certains de ces composés pour- raient provoquer le cancer (DRSP, 2013, p.11)
Selon les analyses produites par le couple et par le MDDEFP grâce aux stations de capteurs, aussi appelés échantillonneurs, il appert que la situation est pire dans Limoilou qu’ailleurs. L’idée préconçue des pauvres qui ont de mauvaises habitudes de vie qui était intégrée aux rapports de santé publique, parce qu’apparemment nous fumons davantage à Limoilou, cède maintenant la place à une analyse environnementale dans l’exposition d’un problème permettant de connaître une autre source de cancers et de problèmes cardiorespiratoires et d’ex- pliquer une plus basse espérance de vie. Évidemment, ce n’est pas la seule cause. Afin de comprendre les raisons d’une plus basse espérance de vie, il faut conjoindre l’analyse environne- mentale à l’analyse culturelle, il faut faire une étude de milieu, humain (impliquant l’être humain mais aussi ses constructions matérielles) et écologique. Il n’en demeure pas moins qu’une source de contamination du milieu est identifiée, une source de stress toxique comme l’aurait nommée Hélène Sioui Trudel (Gagnon, « La pédiatrie sociale », Milieu(x), no.1, 2013, p.23). Les impacts de cette source de stress toxique touchent la santé, et premièrement celle de ses propres travailleurs, mais égale- ment le climat politique et médiatique, au nom d’un profit qui semble bien abstrait pour les habitants.
En effet, en tant que plus gros terminal de nickel en Amé- rique du Nord et lieu de transbordements massifs de minerai, le Port de Québec est un centre névralgique du réseau de l’économie extractive qui bénéficie encore aujourd’hui de privilèges rappelant l’époque coloniale. On en vient à se demander si nous sommes seulement sortis de ce régime, si le développement a simplement remplacé la civilisation, et si le concept de crois- sance a remplacé celui de progrès. Doit-on croire en cette crois- sance ? Est-elle bénéfique?
Car il y a bel et bien une augmentation constante de la pro- duction et une accélération du rythme des échanges marchands malgré un discours écologiste qui se répand de plus en plus. On nous dit que le Port a toujours été là. Oui, mais il n’a pas toujours été aussi gros :
— Il y a l’argument aussi de : « On a toujours été là. Historiquement, Québec, c’est la ville portuaire ». C’est faux, c’est complètement faux. Tu regardes toutes les photos historiques, c’était pas ça. L’ampleur, c’était pas ça pantoute. Des petits quais sur le bord, le boulevard Champlain n’était pas là. La Baie de Beauport, tout le terminal de Beauport, il n’y avait rien.
Le Port est là depuis longtemps, d’accord, mais le rythme de son expansion s’accélère depuis le retour à la hausse du prix des matières premières qui a mené le gouvernement libéral de Jean Charest sur la voie du Plan Nord. Or, ce méga-voisin affecte tout son entourage :
—Louis: Ça ressemble un peu aux universités dans le sens que le discours c’est « collaboration, concertation », mais dans les faits c’est la compétition. Parce qu’eux autres ils font des bilans annuels, puis ce qu’ils ont à dire c’est « ça a monté, c’est en croissance ». — Véro- nique : « Et puis on est top. On est top. C’est juste ça, alors que vrai- ment, si on avait une approche du pays, bien tu ramènes proche des zones urbaines des usages qui sont plus compatibles. Tu sais Mon- tréal, ils se rendent compte que ça marche pas, et alors ils sont en train de négocier avec Contrecœur pour certains usages. L’urba- nité, c’est tout ça. Quand on parle de territoire, c’est aussi les zones industrielles, c’est aussi des zones ouvrières liées, habituellement à cette industrie-là. Donc, tu sais, c’est le dortoir de cette industrie-là, donc c’est sûr que c’est des années… Nous autres, là le quartier change, mais il y en a encore des vrais que c’est comme: «Oui, mais…». Ce monde-là, ils travaillent là, ils travaillaient à la Birch, ils travaillaient au Port, donc c’est la main qui te nourrit. — Louis : Ce que j’avais évalué là-dedans, c’est les coûts de tout ça, pour la santé évidemment. S’il y a du monde qui rentre à l’urgence pour des problèmes de santé, des problèmes cardio-respiratoires, on paie, tout le monde, pour ça, mais pour toutes les infrastructures, c’est des matériaux super oxydants. Nous autres on s’en rend compte. En fait, je voudrais organiser des visites à Limoilou pour montrer aux gens ce que moi j’observe dans le quartier, parce que là quand tu te mets à observer ça, il y a plein de trucs qui apparaissent. Tu sais, c’est anec- dotique, tu ne peux pas le prouver, mais nous on vient du Plateau Mont-Royal et des escaliers en fer forgé, il y en a à la tonne et ils datent du début du siècle, tu sais, 1900. Ici, c’est bien plus jeune que ça, c’est 1940-45, puis c’est tout percé, ça a été mangé au grand complet. — Véronique : Et puis je peux t’assurer, sur le Plateau, que ce n’est pas le monde qui gratte puis qui peinture. — Louis : Il y a des affaires de même qui sont obligatoirement dues à une présence d’oxydants qui vient affecter ça, gruger ça. Puis ça, ça affecte aussi les ponts, ça affecte… Tu regardes les bords de maison, ça c’est un exemple, mais le bord des corniches, c’est tout le temps noirci, bien, ça fait partie des coûts sociaux aussi.
Doit-on accepter que la main qui nous nourrit nous empoi- sonne également? De plus, à quel point nous nourrit-elle au juste? Si l’APQ affirme sur le site du Port de Québec que la marchandise qui transite par le Port représente une valeur de 25 milliards de dollars, nous sommes en droit de nous deman- der quelles sont les retombées réelles pour la ville. Si ce n’est pas payant pour les habitants, il serait stupide de se réjouir du fait que nos ressources transitent vers ailleurs. Une analyse produite par Jean Lacoursière, citoyen membre d’Accès St-Laurent Beauport et de la Société des gens de baignade, résume ainsi la situation :
L’analyse permet d’affirmer que le transport maritime des marchandises au Port de Québec représente une valeur ajoutée pour la région qui est inférieure à 1 % du produit intérieur brut de la région métropolitaine de recensement de Québec, cette fraction se situant vraisemblablement entre 0,5 et 1 %. Ces observations, ainsi que la santé économique de la région de Québec, suggèrent que la prospérité future de la ville n’est pas tributaire d’une augmentation du transbordement de vrac à ses pieds, même si le Port et ses clients récla- ment de manière urgente de nouveaux quais à Beauport depuis plus de 30 ans (Impact$ en vrac, 2012).
L’empereur est nu6.
La défense d’un milieu de vie
En conclusion, nous voyons que la lutte menée par le couple, conjointement avec de nombreux groupes de citoyens et avec un appui du MDDEFP, ainsi que de groupes environnementa- listes et de certains politiciens locaux7, est une lutte d’habitants s’indignant face au mépris de leur santé et celle de leur milieu de vie. Louis Duchesne ne se qualifie pourtant nullement d’en- vironnementaliste :
— Louis : On voit souvent des connotations, comme quoi on est contre tout, contre les industries, mais moi, je ne suis pas un envi- ronnementaliste, un pur et dur dans ce sens-là. La croissance écono- mique, puis l’activité pour prospérer puis tout ça, tu sais, en quelque part, j’y crois un peu à ce système-là, sans adhérer à 100%. Mais comment ? Tu sais, ils pourraient croître eux autres en prenant les bons moyens pour nous protéger aussi. Ça se fait, tu sais, je veux dire. — Véronique : Puis l’entreprise, s’il y a une industrie… Tu sais, la menace, c’est tout le temps: «Trop d’environnemental, on va se délocaliser. On va aller en Malaisie ». Comment tu veux que le Port s’en aille! S’il y a une industrie qui est mauditement pognée pour s’entendre avec ses voisins, c’est le Port.
Nous connaissons tous ça, des chicanes avec des voisins envahissants, mais l’industrie extractive affiche malheureuse- ment une tendance lourde à se penser au-dessus de ses voisins. Les Premières Nations et de nombreux Québécois (pensons à Malartic ou Lac-Mégantic) en savent quelque chose. De plus, le Port de Québec se situe en territoire fédéral, ce qui rend la tâche difficile pour les autorités de la ville ou même de la province. Si j’ai bien compris le propos de Véronique Lalande et Louis Duchesne, il ne s’agit pas ici de sou- haiter l’élimination de la classe affai- riste, mais de pouvoir se parler d’égal à égal, entre les meneurs de projets, qui trop souvent n’ont que le critère de la croissance économique comme véritable leitmotiv, et les habitants qui doivent s’occuper de leur milieu de vie comme d’une maison. Prendre soin d’un milieu implique d’accor- der une attention constante à une multiplicité de facteurs subtile- ment interconnectés. Si les activités économiques telles que celles qui se déroulent au Port de Québec ne sont pas rigoureusement encadrées par une autorité politique vraiment représentative du peuple et par une autorité scientifique honnête, nous ne pouvons que courir vers le désastre.
Or, le nombre infime de fidèles lecteurs que j’ai peut-être savent que pour ma part, je ne crois pas en la croissance, ou en tous les cas, pas à celle-là (Gagnon, 2013, p.24-25). La croissance est un phénomène organique qui n’implique aucun écart entre ses différents moments. Elle est en quelque sorte une série constante de subtiles métamorphoses. L’idéologie de la croissance écono- mique, quant à elle, me paraît participer d’une naturalisation du capitalisme qui menace de faire taire tous sens critique : comme si les lois du marché étaient les lois de la nature.
Pourtant, les activités économiques impliquent des moments bien distincts. Pour le dire (trop) simplement: extraction, transport, transformation, production, échange et usage ou consommation. Une augmentation de la production et une accélération du rythme des échanges peut parfois être souhaitable, mais fondamentalement, encore une fois, il m’ap- paraît que le pseudo-concept de croissance économique entre en contradiction avec le véritable concept de croissance de nos enfants. Cela ne peut durer.
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1 À des fins d’économie d’espace, nous ne renvoyons pas toujours aux sources originales exactes des documents mentionnés dans cet article. Ils sont tous disponibles sur le site de l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec où il est également possible de suivre l’évolution du dossier. Les articles de journaux sont archivés selon leur date de parution et les rapports et analyses scientifiques sont présentés sur la page d’accueil: http://www.vigilanceportdequebec.com.
2 Rappelons que ces stations furent originellement mises en place afin de surveiller les émissions de l’Incinérateur de Québec.
3 Notons au passage que M. Duchesne est ingénieur forestier et est donc doté d’une formation scientifique. Il est également à l’emploi de la Direction de la recherche forestière du Ministère des ressources naturelles depuis 1995 à titre de chercheur sur les écosystèmes et l’environnement.
4 Cette appellation est souvent remplacée dans la documentation récente et les statuts juridiques par OBNL (organisme à but non-lucratif ).
5 En date du 17 avril, après que cet article ait été rédigé, l’APQ affichait sur son site un plan d’action plus complet en matière de développement durable. Il est possible de le consulter au http://www.portquebec.ca/communaute/developpement-durable/plan-daction- de-developpement-durable.
6 Voir Les habits neufs de l’empereur, de Hans Christian Andersen.
7 Sébastien Bouchard, candidat de Québec solidaire dans Jean-Lesage (Ah ! tiens. Rappelons- nous le slogan électoral de feu Jean Lesage : « Maîtres chez nous ! »), assiste régulièrement aux réunions de l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec et Raymond Côté, député du Nouveau Parti démocratique, y est également très impliqué.
Bibliographie
Mathieu Gagnon (2013), « La pédiatrie sociale : une approche par le milieu », Milieu(x), no.1, pp.17-25.
Stéphane Hessel (2013), Indignez-vous!, Épinac, Édition Libre et Universelle, disponible en .pdf au : [http ://www.matin-magazine.com/ebooks/stephane_hessel_ indignez_vous_page.html]
Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec : [http ://www.vigilanceportdequebec. com/]